Récit de Jonathan Salamon : partie 9 : De retour en live

Publié il y a 6 ans par Jonathan Salamon Catégorie : (Re)devenir pro par Jonathan Salomon
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« Ce soir 21h cash game ,10 places. Qui ? »

Je reçois de temps en temps des SMS de ce numéro. Toujours la même formulation lapidaire. Pas de temps pour les politesses. Droit au but.

Il s’agit d’une partie que j’ai connue il y a quelques mois, un peu par hasard, en discutant avec les bonnes personnes au bon moment. Une NL100 qu’on croirait ne plus pouvoir exister en 2017. Où l’on relance par poignée. Où la moitié des coups joués se terminent sur un tapis. Où l’on peut monter des stacks énormes, à condition de passer entre les balles. J’y ai joué 2 ou 3 weekends, gagnant à chaque fois, mais en serrant les fesses tant la variance y est élevée.

C’est la raison pour laquelle j’ai arrêté d’y aller. Depuis la reprise du grind online et des bonnes résolutions, je me suis imposé de rester en dehors du live tant que je ne serais pas rollé. Quand bien même la table serait magnifique, je n’ai pas envie de ruiner des mois d’effort avec un peu d’impatience.

Sauf qu’aujourd’hui, c’est différent.

Aujourd’hui, après le tilt du milieu du mois de novembre, j’ai remonté petit à petit ma courbe, récupéré mes pertes, et suis enfin repassé au dessus de la barre des 3000 euros. J’ai donc 30 caves de NL100. Ce serait insuffisant sur internet, j’en ai déjà fait l’amère expérience, mais pas en live, pas à cette table, où le niveau beaucoup plus faible permet de tenter des shots plus bas.

Je saisis mon téléphone, relis son SMS, et décide de lui répondre.

« In »

21h. J’embrasse ma copine et prends la voiture. Dehors, il fait un froid de canard, et la ville est blanche : il a neigé toute la soirée à gros flocons. C’est un temps  à rester bien au chaud chez soi. Habituellement, c’est ce que j’aurais fait. Il est loin le temps de l’aventurier sud-américain qui avalait les kilomètres sur sa moto. Depuis que j’ai repris le grind online, mes expéditions les plus extrêmes consistent à aller faire les courses le mercredi après-midi. Mais ce soir ce n’est pas le cas. J’ai hâte d’en découdre. Je n’ai pas joué une partie sérieuse en live depuis des mois et je me demande si j’ai toujours de bons réflexes, et si tout cet entrainement online va me servir à quelque chose…

J’arrive sur place. Il fait nuit, la rue est déserte, complètement enneigée. Je sonne. On vient m’ouvrir. Un mec, la cinquantaine.

-          Bonjour

-          Bonjour

Il ne bouge pas.

-          Euh…

-          Tu es ?

-          Jonathan

-          

Il n’a pas l’air convaincu. Je ne l’ai jamais vu. Il ne m’a jamais vu. Heureusement derrière je vois s’avancer un autre mec que je connais.

-          Ah Jonathan ! T’es le dernier.

Ils me laissent passer.  A l’intérieur, 10 joueurs sont déjà installés à table. A mon arrivée, l’un d’eux, un jeune, se lève immédiatement et me laisse sa place. Je serai au siège 7.  Je reconnais le 1, un vieux qui a une tête d’allemand, déjà joué il y a quelques mois. De mémoire, passif nit. 2, un pote de poker avec qui j’ai fait quelques parties. A priori tag sur cette table. En 4, un autre vieux que j’ai joué il y a quelques mois. De souvenir loose préflop, tight postflop. Le reste m’est inconnu. Il ne me faudra pas très longtemps pour comprendre à qui j’ai affaire.

A peine suis-je installé que siège 5, un quarantenaire, manteau bien coupé, belle montre au poignet, tapis de 300, relance à 30 ( je rappelle qu’on joue en 0,5 /1 !!). Son voisin, siège 6, juste à ma droite, tapis 200, jeune gars sympa, un petit chien sur les genoux call. Ils sont en heads up.

Flop :  Kh5sJh ( pot 61,5)

Belle montre tank 10 secondes, et overbet all in.

Petit chien SNAP call 180 euros.

Turn : 10, river 2.

Belle montre montre KJ. Petit chien claque AQ et remporte le pot de 400 euros. OK…Je m’y attendais un peu mais ca fait toujours bizarre à voir en vrai. Dans tous les cas, il faut jouer.

Je prends un premier pot en squeezant AQs contre un open payé deux fois. Tout le monde fold. Je suis content d’installer une image aggro. Malheureusement, elle ne va pas me servir à grand chose puisque je me retrouve card dead pendant les deux heures qui suivent, alors que tout le monde à table fait voler les stacks dans tous les sens…

Vers 23 heures, mon stack est descendu à 80 à force de flop vu sans toucher. J’ai décidé d’attendre d’avoir encore un peu plus de reads pour décider de me mettre 200 deep…

C’est à ce moment qu’Allemand ouvre en début de parole à 5. Il est payé par Vieux au siège 4. Je suis au bouton et ouvre AJo. Je suis tenté un moment de squeeze, sauf qu’Allemand reste relativement serré et je pense qu’AJo est un peu trop faible dans ce spot. Je décide de prendre l’option standard en payant simplement. Je suis en position et pourrai manœuvrer postflop. La BB complète et nous voyons un flop :

T55 rainbow ( pot 21)

BB check, Allemand check, c’est plutôt une bonne nouvelle, il aurait cbet toutes ses mains en value type Tx ou overpaire. Vieux check, et la parole me revient. Sur un board aussi sec, je suis surement déjà devant, mais contre 3 joueurs, mon hauteur as gagnera rarement au showdown. Je décide de stab pour prendre le pot immédiatement : 10.

BB fold, Allemand réfléchit un peu et décide de call.  Ici sa range est cappée à un bluff catcheur de type AK/AQ, une petite pocket 22/44 ; 66/99. Je pense qu’il va falloir barrel pas mal de turns.

Turn : Qc qui ouvre backdoor trefle ( pot 41)

Il recheck, j’ai désormais une gutshot, et à part s’il a AQ, cette carte devrait lui faire peur. Je décide de 2nd barrel à 20 pour lui faire fold AK ou des pockets intermédiaires. Il snap call.  Mauvais signe. Le snap call ici, ce sont deux possibilités : soit il n’a aucune décision, c’est à dire qu’il a touché sa dame turn et qu’il est tellement excité qu’il ne prend même pas la peine de réfléchir, soit il n’est pas serein avec une main comme 66/99 et son snap est une manière de me faire peur, et de me dissuader de miser river. Dans les deux cas, cela reste un tell très clair qu’il ne se couchera plus.

River : 3 (pot 81)

Il check une dernière fois, et c’est là que je vois que je suis rouillé en live. Malgré son tell turn, je regarde mon stack de 45 euros avec lequel je me dis que je ne vais pas faire grand chose (ce qui est débile, on joue en cashgame pas en tournoi). Je repense à mon image serrée tout le long, j’essaie de me convaincre qu’il a pu encore call AK turn ( ce qui est probable, mais pas forcément avec ce timing tell) et je décide de shove.

Au moins je n’ai pas à souffrir longtemps. Il réfléchit à peine deux secondes et call. Je montre mon bluff, qu’au moins ces 100 euros perdus me servent un peu à détruire mon image… Allemand regarde ma main, puis le board, sans trop comprendre. Puis il réalise que non, je n’ai pas quinte, ni brelan, et ouvre JQ pour une paire trouvée à la turn.

A froid, je pense que je reste content d’avoir pris le spot, au moins jusqu’à la turn, vue mon image. Pas content par contre du tapis à la river qui ne fait plus fold grand chose… Bref.

Il est 23h et je suis à -100. Mauvais départ, mais il me reste 200 euros dans la poche. J’en mets 100 sur la table et au bout d’une petite demi-heure, je considère que vus les stacks en présence, il faut que je me donne un minimum de profondeur ou bien je vais devoir tout fold préflop… 200 sur la table. Je n’ai plus le droit à l’erreur.

Minuit. J’ouvre les 88 en MP. Vu l’agressivité préflop, je décide d’overlimper cette main. Bien m’en prend puisqu’allemand ouvre 8 en BB. Vus ses sizings au cours de la soirée, je le mets sur une main énorme type AK/AQ ou TT+. Vieux call. Je call. SB au siège 10 call.

Flop : 8T3 rainbow (pot 32)

Bingo.

Tout le monde check. Je suis le dernier à parler.

L’ancien Jonathan, celui d’avant le grind online, se serait empressé de miser ici pour valoriser sa main le plus rapidement possible. Il aurait prié que quelqu’un ait un T ou un draw. Il aurait misé 22 et avec son image, 80% du temps, il aurait juste fait folder tout le monde et pris 32 euros. De temps en temps il aurait eu un call, et un abandon à la turn.

Le nouveau Jonathan, lui, constate qu’il est en position, que le board est plutôt safe. Il sait aussi que par nature, certains spots n’autorisent à prendre qu’une, ou deux streets de value, et que vouloir à tout prix jouer les stacks dès qu’on a des nuts fait perdre de la value sur le long terme. Il comprend qu’à priori, personne n’a de T, sauf peut être la SB qui de toute manière ne lui donnera pas plus de deux streets d’action avec une simple paire. Allemand, lui, a rarement overpaire, car il aurait envoyé son continuation bet. Vieux non plus n’a a priori pas grand chose.

Il n’y a pas beaucoup de turn difficiles à jouer. Et contrairement à la main d’avant, on a pas trop envie de faire fold des broadways maintenant, car elles vont nous donner beaucoup d’action par la suite. Même contre 3 adversaires, c’est un bon spot à slowplayer…

Turn : 7 ( pot 32)

SB et BB checkent, Vieux décide de lead 30. Certes, J9 est rentré, mais je m’attends à ce qu’il le mise souvent au flop. Je le mets plutôt sur un 8x, de temps en temps un 7x, et des 9x ou Jx qui ont désormais des draws. Sa range ici ne va pas supporter un raise, surtout avec mon image de serrure. Je décide de flat et jouer en position river.

River : 7 (pot 92)

Il continue à miser fort. 60. Ici, en gros, il représente assez clairement 7x ou un bluff… Je n’ai aucune raison de ne pas raise. Je tank un peu pour la forme, et met mon tapis au milieu : 160.

Là encore, le suspense est de courte durée. Bien qu’il air l’air emmerdé, il ne lui faut pas plus de dix secondes pour call. Je montre mon full, il montre A7 et je ship l’énorme pot de 400 blindes…

« Je savais qu’il avait du jeu mais bon… »

La soirée continue. Je prends encore quelques coups, en perds d’autres, et quand la partie s’arrête à deux heures du matin, je suis devant un magnifique tapis de 610 euros… +3 caves. Belle opération pour un retour après des mois d’absence.

En récupérant ma petite liasse et en me dirigeant vers ma voiture, j’ai un flash. Je repense à mon voyage, à l’Amérique du Sud. Je me rappelle de cette partie en Argentine où j’avais pris tellement que j’avais du mettre des billets jusque dans mes chaussures. Et tout en conduisant chez moi, sous la neige, je me souviens de ce même retour, 3 ans plus tôt. Ce sentiment d’avoir affronté une épreuve et d’en être sorti victorieux.

Le live m’avait manqué.

Après quatre mois à jouer au poker online, j’avais oublié les sensations du vrai poker. J’avais oublié que les adversaires ne sont pas juste des 22/18, ou des 53/15, mais des mecs avec des envies, des émotions, des choses à prouver. Derrière les chiffres, il y a des raisons de jouer de telle ou telle manière, et j’ai toujours été bon pour les comprendre.

Refaire l’association entre humain et virtuel m’a fait beaucoup de bien. Hier, en rejouant online, j’avais l’impression de mieux comprendre certaines actions, d’avoir de nouveaux reads, ou juste plus de patience. Je ne sais pas. Il est encore un peu tôt pour avoir du recul, mais j’ai l’intuition que ma petite virée sous la neige a eu des effets bénéfiques.

J’y reviendrai. J’essaierai de m’y installer. Tout en continuant à grinder sur le net. La route est encore longue, mais le chemin s’éclaircit peu à peu.

Jonathan S.

 

 
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