Lors de mon dernier article, je vous avais fait part des avantages et inconvénients de grinder chaque variante. Je vous avais laissé sur un jugement un peu succinct et globalement défavorable concernant les SNG Jackpot (Expresso, Spin’n’go, Twisters, etc.). En raison d’un grand nombre de questions de mes élèves concernant cette variante, et dans une démarche exhaustive et d’honnêteté professionnelle, il m’a semblé important de consacrer un article entier sur les raisons de mes conclusions un peu sévères, des précautions à prendre mais aussi des avantages qui méritent d’être mis un peu plus en lumière.
Cet article ne traitera pas de la technique du Jackpot à proprement parler car je vais réaliser une vidéo Exclusive qui y sera consacrée le mois prochain et je veux éviter les possibles redondances. En revanche, j’espère vous faire réfléchir sur les différents aspects du jeu pour mieux en comprendre les enjeux et pouvoir faire les prévisions de résultats les plus réalistes possibles.
Qu’est-ce qu’un SNG Jackpot ?
Il s’agit d’une variante assez récente, inventée par Winamax (Expresso), puis rapidement copiée par Pokerstars (Spin’n’Go), Unibet (Twisters) et plus récemment PMU (SNG Jackpot). Il s’agit d’un sit-n-go à 3 joueurs, en format hyper-turbo (500 chips, levels de 3’) qui a la particularité d’avoir un Price Pool aléatoire, allant de « x2 » à « x1 000 », voire « x10 000 » la mise de départ, un peu comme un loto. Naturellement les « x10 000 » sont très rares et les « x2 » représentent environ les ¾ des parties. Sur le long terme pour l’ensemble des joueurs, le taux de redistribution des joueurs est de 93% (soit un prélèvement moyen de 7%).
L’arrivée des jackpots a été un succès fou auprès des joueurs récréatifs (grâce à un marketing bien senti et un mécanisme de rematch favorisant l’addiction), au point de cannibaliser les Sit-n-go traditionnels, puis d’une grosse partie du cash-game et d’une partie non-négligeable des MTTs. Aujourd’hui le SNG Jackpot est la principale source de chiffre d’affaires des principales rooms du .fr (sources : Pokerscout.fr, Données de l’Arjel).
En raison du rake démesuré pour un format hyper turbo (7% est en réalité énorme. A titre de comparaison, un MTT hyper turbo sur le .fr sera raké à 5%, et 2% sur les rooms du .com), les joueurs réguliers ont longtemps boudé cette variante. Leurs arguments – a priori solides – étaient un rake imbattable, un long terme non-atteignable, une variance infinie et une technique inexistante. Il n’aura pourtant fallu que quelques mois pour certains réguliers des variantes d’hyper turbo leur prouvent qu’il est en réalité possible d’y gagner très correctement.
L’offre du .fr
A ma connaissance 4 sites proposent des SNG Jackpot sur le .fr à l’heure actuelle. Winamax et Pokerstars offrent des buy-in jusqu’à 100€ tandis que PMU et Unibet se limitent à des buy-in et des multiples plus petits. Chaque site à sa propre répartition des jackpots, bien que tous s’entendent sur le fait de raker à 7% (ce que je trouve scandaleux).
Les multiplicateurs
Pokerstars :
PMU :
Winamax :
Unibet :
Pokerstars propose la grille la plus agréable à grinder en raison de son plus faible pourcentage de « x2 » (72,3% vs 76% pour Winamax). Ce petit écart qui n’a l’air de rien permet quand même de réduire la probabilité de toucher 10 « x2 » consécutifs de près de 50%.
En revanche Winamax offre de meilleures chances de toucher des gros jackpots, et donc de faire rêver le joueur récréatif. Un joueur régulier doit parvenir à être gagnant sans ces occurrences qui seront trop rares, mais si vous jouez des dizaines de milliers de parties dans l’année, vous finirez peut-être par en toucher.
Le rakeback
En MTTs le rakeback est anecdotique au mieux, négligeable sinon. Mais en SNG Jackpot vous allez raker beaucoup plus que dans toutes les variantes, et le rakeback sera une source très importante de revenu fixe, qu’il sera important de maximiser.
A l’heure actuelle Winamax offre le meilleur rakeback grâce à un système de challenge hebdomadaire basé sur le volume qui est très bien doté. A titre d’exemple, durant la deuxième semaine de mon grind « test », j’ai joué 552 expressos à 5€ et j’ai raké 193€. J’ai terminé 22éme du challenge volume et gagné 25€, en plus des 690 miles acquis (statut bronze, soit une valeur marchande de 10€) et du bonus de 5€ mensuel, soit un total de 40€ ou 21% de rakeback. Si j’avais poussé une ou deux centaines de games supplémentaires, j’aurais pu atteindre le top 15 du challenge et ramasser encore 25€ supplémentaires.
A ce rakeback « fixe » s’ajoutent de nombreuses promotions ponctuelles, différentes sur chaque site, et plus ou moins intéressantes. Vous devez passer un peu de temps à analyser la rentabilité et la faisabilité de chacune de ces promotions qui peuvent être de vraies mines d’or.
Lors de la première semaine de grind, j’ai joué 400 games sur Pokerstars et raké environ 150€. J’ai débloqué 925 VPP qui m’ont donné droit à l’équivalent d’environ 20€ en starcoins (rakeback fixe au statut silverstar), mais surtout les deux promotions hebdomadaires m’ont permis de débloquer 85€ en cash, soit un rakeback de 70% (!).
Pour conclure, si vous avez prévu de faire un gros volume sur cette variante, dirigez-vous sur Winamax, mais n’oubliez pas de consulter les promotions ponctuelles de chaque site qui peuvent vous donner droit à des taux de retour très intéressants.
Analyse de mes résultats
Afin de préparer cet article j’ai allumé mon tracker et grindé Spin-n-go et Expresso pendant deux semaines pour pouvoir appuyer mes propos en présentant des chiffres concrets et palpables. J’en ai joué 1 000 à 5€ (970 à 5€ et 30 à 10€), au cours de 10 sessions.
Un échantillon de 1 000 games n’est pas à proprement parler représentatif tant les facteurs en jeux sont aléatoires et peuvent varier du simple au double d’un sample à l’autre. Néanmoins, il s’agit d’une base satisfaisante pour travailler les grandes lignes qui nous intéressent.
Dans un souci d’optimisation de mon gain horaire, j’ai joué les parties 4 par 4, puis 6 par 6, ce qui m’a permis de ne passer « que » 34h à l’œuvre. J’en ai gagné 408, ce qui me donne logiquement un taux d’itm de 40,8%, avec un ROI de 18% correspondant à un gain de 180 buy-in environ (+915€) à cela quoi s’ajoutent 145€ de rakeback.
Au total c’est donc 1060€ gagnés au rythme de 31€ par heure. Enfin, je me suis hissé en head’s up 73% du temps et j’ai gagné ce duel 56% du temps.
La répartition des jackpots
X2 : 764 (76,4%, un peu au-dessus de l’espérance)
X4 : 167 (16,7%, légèrement en-dessous de l’espérance)
X6 : 61 (6,1%, significativement en-dessous de l’espérance)
X10 : 7 (0,7%, conforme à l’espérance)
X20 : 1 (0,1%, conforme à l’espérance)
Soit un rake effectif moyen de 11,6%. Les multiples convergent assez vite vers leur valeur théorique, j’ai été un peu malchanceux sur la répartition mais c’est tout à fait standard pour un échantillon de cette taille. En revanche, j’ai run good sur les gros multiples (j’ai gagné le « x20 », 5 des 7 « x10 » et 2 des 4 « x6 » des 10€), ce qui a fait une grosse différence sur le ROI puisque si j’avais perdu chacune de ces 12 parties cruciales au lieu d’en gagner 8 sur 12, j’aurais gagné 2 fois moins !
D’une manière générale on peut s’attendre à ce que sur le long terme un bon joueur ait un meilleur taux de réussite sur les gros multiples car les joueurs récréatifs ont tendance à essayer de s’appliquer et jouent plus tight/moins aggros que sur les petits et jouent paradoxalement plus mal car c’est justement en étant aggro et en n’hésitant pas à faire tapis souvent qu’ils sont le plus difficile à jouer.
Quant au multiple moyen sur le long terme, s’il doit théoriquement tendre vers 7%, la majorité des joueurs auront un taux de rake compris entre 9 et 12% jusqu’à l’arrivée de la première victoire sur un gros multiple, tandis qu’un infime pourcentage de chanceux auront un rake « négatif » en tombant dessus très tôt. Sur le moyen terme et pour former nos prévisions, nous pourrons nous baser sur un taux de 9% qui correspond à une chance normale sans toucher de « x1000 » ou plus.
La chipEV/Game
Une autre stat importante à regarder et le gain de chips moyen par tournoi, effectif et en EV (qu’on pourrait appeler la chance « moyenne » attendue). Je gagne environ 110 chips par tournoi joué, soit à peu près le niveau de mon EV chips que j’ai talonné tout au long de ces 1 000 parties. La statistique de l’EV chips est intimement liée au pourcentage moyen d’ITM et indirectement au ROI. Elle a l’avantage de converger très rapidement et de vous donner une idée précise de votre niveau sur une limite. On considère qu’en 5€, se maintenir au-delà de 100 chips/game est un bon résultat facilement atteignable pour un reg qui a les bonnes ranges et qui sait ne pas tilter, tandis que maintenir 50 chips/game en 25€ est une prouesse technique.
Attention toutefois à bien prendre en considération les limites de l’analyse d’un sample de 1000 games. Par exemple à titre d’information, un calcul d’intervalle de confiance d’une loi binomiale m’indique qu’avec 408 itm sur 1000, j’ai 95% de chance que mon pourcentage réel sur le long terme soit compris entre 37,7% et 43,9%, ce qui signifie qu’à ce stade il peut encore facilement varier de plus ou moins 3% ! Je ne pense d’ailleurs pas être en mesure de maintenir 91,5 centimes/game sur le long terme sur les 5€, mais plutôt la moitié de ça.
Espérances de gain pour un reg compétent de la limite
Par exemple un joueur de 1€ ou 2€ doit considérer ces parties comme de l’entrainement pour pouvoir dans le futur move up en 5€ ou 10€ qui seront légèrement plus difficiles, mais qui rapporteront plus. A l’inverse un régulier qui fait un gros volume sur les 100€ n’aura pas ou très peu d’edge sur les tables, enchainera sans doute les mois perdants aux tables, mais sera Red Diamond et vivra d’un montant très important de rakeback.
Comme on peut le voir sur ce tableau que j’ai laboré avec d’autres regs de ce format, le gain horaire augmente drastiquement en fonction du buy-in joué, tandis que l’edge diminue rapidement et que le rakeback prend une importance croissante.
Un joueur comme –Youpi- qui peut enchainer 5k à 6k Expresso à 100€ par mois, perdra sans doute une bonne centaine de buy-in (10.000€) à chaque fois, mais il gagnera le challenge high-limit à 3.500€ chaque semaine et générera des dizaines de milliers de miles qui donnent droit à de très jolies primes en cash.
Attention toutefois à ne pas vous brulez les ailes en voulant move up trop vite, je recommande la plus grande prudence dans la montée de limite et avant de se lancer dans des courses au volume. A titre d’exemple voici le même tableau mais avec un régulier légèrement moins bon que le premier.
Ça donne toute de suite moins envie, non ?
Le Bankroll management
Pour grinder les expresso, vous devez jouer à des buy-in qui ne représentent individuellement pas grand-chose pour vous. Il faut que vous soyez capable de perdre 20 à 30 buy-in dans la même session, sans que cela n’affecte votre jeu. En effet, vous allez vivre des down très violents et des ascenseurs émotionnels plus intenses que ceux qu’on ressent en MTTs.
Pour cela je recommande un minimum de 300 buy-in pour pouvoir jouer à une limite, soit 300€ pour les 1€, ou 3000€ pour les 10€ ! Et que je ne vous y vois pas jouer des 5€ avec 300€ de bankroll ! C’est le meilleur moyen de repasser par la carte CB au bout de 3 sessions !
Si vous passez sur les 25€ (ou plus), gardez en tête que l’edge étant plus faible, vous pourrez encore plus facilement enchainer des downswing de 100 buy-in, alors prévoyez même plutôt 400 à 500 buy-in de côté, soit 10 à 12k€ de bankroll (eh oui !).
Derniers conseils avant de vous lancer
Pour pouvoir grind les expressos, vous devez partir du principe qu’il n’existe des multiples que jusqu’à « x20 », et que vous devez être gagnant sans jamais toucher au-delà. Tout ce que vous toucherez au-delà sera un bonus sur lequel vous ne pouvez pas faire de prédiction. Je recommande cette variante aux joueurs qui ont A) un mental très fort et l’habitude des frustrations extrêmes que produisent le poker, tout en sachant garder leur sang-froid dans les moments d’intense concentration et B) aux joueurs ayant déjà un background solide dans une variante qui se rapproche un peu de format (MTTs ou dans l’idéal sit-and-go head’s up en hyper turbo).
Si vous vous lancez dans cette variante sérieusement pour la première fois, investissez dans un coach qui vous mettra sur la bonne voie et vous empêchera de prendre des mauvais réflexes ou jouer les mauvaises ranges sans le savoir. Le SNG Jackpot est la variante d’excellence pour croire qu’on est très fort alors qu’on y fait n’importe quoi, tout en étant très différent des autres formes de poker et extrêmement contre-intuitive. Partir sans entrainement ni conseils peut rapidement conduire à des déconvenues d’ampleur majeure.
Enfin, je recommande de ne pas consacrer tout votre temps de poker à cette variante, afin d’éviter la lassitude, le burn-out ou le grillage de cerveau, et de la mixer avec une autre qui vous tient à cœur.
Ayant dit tout cela, je dois vous laissez pour retourner jouer au vrai poker 😀
À propos de l’auteur
Jonathan « Bandecdc » Perin est un joueur de poker récemment passé professionnel après une courte carrière dans la finance. Spécialisé dans les MTT Low Buy-In, il est également professeur de poker depuis 2014. Il a rejoint l’équipe de coach de Yohviral.fr après que son palmarès et son sens de l’organisation aient attiré l’œil de l’équipe. Vous pouvez retrouver ses vidéos hebdomadaires sur la théorie et la pratique du poker de tournoi dans le club Padawan.