Deux coups joués par YoH_ViraL aux WSOP racontés pour le magazine Livepoker
J’espère que vous passez un bon été sur les tables de poker aux 4 coins du monde. Je vous écris depuis Vegas où j’ai décidé de prolonger mon séjour car j’adore de plus en plus jouer en live et ici c’est le paradis pour le poker !
Bourriner quand il le faut
En tournoi, on a coutume de dire qu’il faut jouer « low variance », soit avec une variance faible, c’est plutôt vrai. Maintenant au cours d’un tournoi il y a certains spots « high variance » cruciaux (haute variance) qu’il faut identifier, ne pas rater, et qui vont faire la différence. Quand vous en détectez un, il faut foncer, quitte à se ramasser, suivre ses lectures, avoir un plan et aller au bout de celui-ci, tels sont les leitmotiv des topregs de MTT.
Contexte : Main Event WSOP 10 000$ day 3 (2016) Variante : No Limit Hold’em Blindes : 1200/2400 Mon Tapis : 400 000 Ma position : SB (9 joueurs à table) Ma main : A2s Vilain : (hijack) 150 000
Preflop : Vilain raise hijack 5000 / YoH ViraL 3bet en sb 14500 / Vilain 4bet 32500, YoH ViraL 5bet all in 150 000 effectif / Vilain fold
Day 3 du Main Event WSOP, je suis d’attaque, je sens que l’heure est venue pour moi de perfer en tournoi live. Je démarre la journée avec 400 000 jetons, soit près de 3 fois la moyenne, 200 blinds, je suis énorme, j’ai run très good la veille, j’ai fait 8 brelans. Les joueurs oublient trop souvent d’expliquer à quoi ressemble une journée, où on finit avec près de 3 averages, c’est toucher la majorité des flops, avoir toujours la pointure au-dessus, avoir des setups favorables preflop et posflop.
J’ai aujourd’hui la table la plus facile qu’il était possible d’avoir pendant ce Main Event, c’est drôle ça aurait dûêtre plus « dur » au day3 qu’au day 1, et poutant aujourd’hui sur 9 joueurs en table, nous sommes seulement 5 pros, contre 7 pros au day 1 et 7 pros au day2.
D’ailleurs ce pro actif à la table relance à 5000 au hijack, j’ai une belle main, A2s, je décide de 3bet à 14 500 en sb, le but est de le faire folder directement un broadway, une main comme un connecteur suité, un As suité plus fort que le mien, de voler un pot sympa, d’imposer mon rythme à la table, et de me créer une image de joueur agressif voir bluffy pour pouvoir rentabiliser mes mains dans les gros pots où j’ai prévu de jouer en value… oh wait !
La parole revient à lui et il me 4bet à 32500 jetons. Il a 150 000 jetons au départ du coup, soit environ 65bb. Alors, je vais vous dire quelque chose : avec 65BB les joueurs en tournois 4bet dans cette situation (hijack contre sb) en général uniquement KK ou AA, pour tout mettre preflop. Avec TOUTES les autres premiums (AK, QQ, JJ, TT, AQ…) ils se contentent de payer le 3bet car en mtt il est connu que les joueurs « go broke » (mettent tout preflop) de manière très polarisée (les nuts ou les bluffs), pour tout ce qui est au-dessus de 50bb effective. Ceci étant expliqué, dans ces spots de 4bet aussi deep, les joueurs en tournois ont tendance à avoir plus souvent des bluffs que des nuts. Lui se dit la même chose, il se dit que j’ai besoin de KK AA, pour pouvoir « tout mettre » preflop dans ce spot la et il n’a pas tort, je vais rarement avoir envie de go broke 65bb sb contre hijack sans historique autre chose que les nuts.
C’est important de pouvoir contrer ces 4 bets là, et beaucoup de pros n’osent pas se lancer dans ces spots deep preflop, car souvent assimilés comme « high variance », « spew » etc. En réalité je trouve que ce spot n’est pas si « high variance » que ça, car la probabilité qu’il ait l’une des mains prétendues, est vraiment faible.
Nous avons par ailleurs le meilleur candidat de 5bet bluff possible, car il dispose d’environ 25% d’équité (si showdown il y a) contre la range de value de vilain, si on considère que la range de vilain est KK ou AA seulement !
Vous imaginez, encore 1 chance sur 4 de gagner un pot énorme, si on se trompe et que vilain a seulement KK ou AA. Disposant d’un As, on bloque en effet la moitié des combinaisons de paires d’As possibles chez l’adversaire (au lieu d’avoir 6 possibilités de paires d’As différentes preflop, il n’a maintenant que 3 possibilités de paires d’As.) et contre KK nous avons un bon 32% de chance de remporter le gros pot.
Mais surtout : la majeure partie du temps, il a juste son 4bet bluff, essayant de me dire qu’il ne me laissera pas dicter ma loi, qu’il sait que j’ai trop peu de mains qui ont envie de « go broke » preflop 65bb effectives, et donc qu’il essaie de me bluffer avec un ou plusieurs de ces open loose, dont l’objectif est d’arracher le pot.
Je décide donc de faire tapis et il passe assez vite.
Par pure empathie, je lui montre un 2 de pique pour enlever ses derniers doutes.
Equilibrer et protéger ses ranges à la river contre les topregs
C’est tentant de value top paire top kicker à la river après check check turn, c’est commun, c’est un réflexe, notre adversaire à checker back turn, il ne bluffera plus river, il faut miser pour tenter de prendre de la value s’il a quand même un petit quelque chose.
Et pourtant contre un topreg (seulement si vous avez une image de bon reg et qu’il sait que vous êtes capable de comprendre des spots compliqués), il faut savoir checker, parfois une grosse main à la river, pour le laisser ce value cut (c’est-à-dire le laisser value et perdre plus de jetons contre une meilleure main,) ou le laisser bluffer dans un spot où il sait que vous savez qu’il ne représente pas grand-chose et donc, sachant cela, qu’il affirme détenir quand même d’une main pour value.
J’ai joué cette main contre Adrian Matteos (détenteur d’un titre EPT et d’un bracelet WSOP), pas loin de la bulle du 2500$, no limit holdem des WSOP, cet été à Vegas.
Contexte : | WSOP 2500$ Day2 |
Variante : | No Limit Hold’em |
Blindes : | 1000/2000 antes 300 |
Mon Tapis : | 100 000 |
Ma position : | MP (9 joueurs à table) |
Ma main : | AxKs |
Vilain : | (hijack) 80 000 |
C’est le day 2 du WSOP à 2500$, le niveau de ma table est relevé, nous ne sommes plus que 20% du field restant. J’ai un stack confortable de 50bb (dans ces tournois, la moyenne en jetons, à ce moment-là, est en général de 30/40bb). Je relance Ako en milieu de parole, à ma gauche Adrian Matteos paye, sb call et bb call. La range de Matteos, dans ces positions et avec environ le même stack que moi, est : un broadway suité, une paire, Kqo, Ajo, Aqo, Ats+
Au flop après le check de la sb et de la bb, je peux décider d’effectuer un continuation bet en semi bluff pour faire folder certains 8x tout de suite, ainsi que des paires intermédiaires sans pique. Au cas où j’ai tirage couleur 2nd nuts et deux overcards. Si j’ai décidé de ne pas cbet, c’est avant tout lié à mon image loose agressive, qui ne me permet pas de faire folder des mains que les gens devraient fold, moins souvent que la moyenne des joueurs. Du coup, je préfère jouer un plus petit pot, dans cette situation.
Adrian Matteos mise 2/3 pot, c’est assez gros et il a, ou une main pour value type Ats, JJ, TT, 88, 44, flush ou un tirage avec deux overcards type : KxQs, AsQx AsJx AxJs AxQs
Suite à cette mise, les joueurs en sb et bb fold, et il me faut gagner la main plus de 35% du temps, pour pouvoir caller profitablement : entre les fois où on a la meilleure main avec hauteur AK, et les fois où on a 6 à 15 outs vivants pour améliorer, il faut évidemment caller.
Turn : un Kx. Bonne carte. Contre un topreg, maintenant que j’ai joué ma main de manière défensive, je me dois de continuer à laisser bluffer s’il bluff, à se value cut s’il value, pour être équilibré sur le long terme. Un donkbet maintenant, suite à mon action flop, serait trop difficile à équilibrer sur le long terme (même si on a souvent la meilleure main et qu’il serait gênant qu’il check back, il faut privilégier l’équilibrage de notre range globale ici et donc checker.)
Ma main ressemble à un T pas très bien kické ou un T sans pique, elle ressemble aussi à paire de 6 jusqu’à paire de 9 avec un pique.
J’avais beaucoup trop d’intérêt à cbet mes brelans et mes flushs sur cette texture de flop connectés en 4way, donc j’ai très rarement mieux qu’une paire.
Je check, Adrian check back.
Quand il check back, nous pouvons enlever tous les brelans et les flushs de sa range car ils auraient eu trop d’intérêt eux aussi de continuer à miser pour value et construire un pot suffisamment important, pour que la taille de la mise ensuite permette de tout me prendre à la river sans que ce ne soit un overbet.
Il a donc 99% du temps une main moins bonne que la mienne ici et il a très rarement un bluff (regardez dans la range initiale d’Adrian que j’ai cité un peu plus haut : il ne reste pas beaucoup de main qui n’ont pas au moins une paire,)
River un 3x qui ne change rien.
Ce n’est pas assez souvent dit mais c’est à la river, qu’une partie des écarts de gains annuels entre les pros, se font. Normal en réalité, c’est sur cette street que les pots sont les plus gros ! Celui qui va toujours opter pour la meilleure line river va être bien plus gagnant à la fin de l’année que celui qui manque un value thin, n’induit pas un bluff de l’adversaire, fait un bet pour value trop petit par rapport à ce que l’adversaire était capable de caller etc…
Et pour prendre la meilleure décision river, la meilleure line, il faut être très compétent postflop, car des actions précédentes, de l’analyse de la texture du board, de son évolution, de l’anticipation de l’image que votre adversaire se fait de vous : vous pourrez obtenir de ce dernier ce que vous voulez qu’il fasse et maximiser vos profits.
Contre Adrian Matteos, je décide de privilégier l’équilibrage de mes ranges et de ce fait, comme on a dit que ma main ressemblait à une “one paire hand” type un Tx ou une paire en dessous servie, je vais checker ce qui ressemble chez moi à une main trop faible pour être value bet (contre quoi de moins bien je value ?), et trop forte pour être transformée en bluff (on bat déjà les derniers bluffs d’Adrian).
Je check donc, et il mise une grosse poignée 33 000 dans 46 000.
Je vais vous révéler quelque chose : postflop les séquences de mise type : “bet check bet” de la part de topregs sont très rarement des bluffs. Pourquoi? Car suite à une séquence de mise “bet check bet” on a l’habitude d’être call en face, par des joueurs moins bons qui se “level” (se font des films) et finissent par call avec une paire ou hauteur As, en se disant que si leur adversaire avait eu une bonne main, il n’aurait pas checké la turn après avoir misé au flop.
Donc pour me bluffer ici il faudrait qu’il me considère comme un bon joueur. Comment être sûr de ça? On a joué plusieurs parties de cash game 25/50 et 50/100 lors des festivals EPT cette année et aussi au Bellagio à Vegas donc il me sait joueur de highstakes, capable de ne pas se “level”, capable de faire des fold, c’est plutôt bon signe ça ajoute des bluffs à sa range.
Maintenant, il peut aussi value moins bien que ma main. Vu l’action précédente, à sa place, je value si j’ai AT, si j’ai trouvé un K turn (type KQ Kjs). Je ne fais cependant peut-être pas ce sizing, car je ne m’attends pas à être call trop souvent par un bon joueur avec cette line.
J’ai callé en moins de 5 secondes (j’ai ce qu’on appelle le top de ma range sur cette river, c’est à dire de la manière dont j’ai joué le coup, j’ai presque la meilleure main possible avec laquelle j’arrive à la river.)
Il avait Ajo sans pique pour un bluff total. Ce bluff aurait fonctionné sur moi si j’avais eu 99. J’aurais passé le bas de ma range, soit 66-99. Plus dur de savoir ce que j’aurais fait avec Jt et QT, c’est le même call me direz-vous, oui et non, car avec ces dernières on bloque quelques mains de value chez lui, type KQ Kjs Ats.
Je vous donne rendez-vous le mois prochain, sur livepoker, pour de nouvelles mains que j’ai joué à Las Vegas. Et 24 heures sur 24 sur www.yohviral.fr pour travailler votre jeu avec les vidéos stratégiques commentées et le coaching à distance par les pros.
Bises
YoH